Histoire jouée en une séance de neuf heures de jeu.
Nous sommes en 1618, la dernière semaine du mois de Vernus, une semaine sans fêter les saints. Dame Heloïse, Prêtresse de Kyria et épouse du Comte d'Aisenor, fait un voyage dans la province de Pomons pour rendre hommage à son père défunt. Elle retrouve le Duc Meriatan qu'elle connaît bien et qui a intérêt dans sa venue parce qu'il souhaite préserver Loskalm du terrible Royaume de la Guerre, et entrevoit le rôle stratégique que prendra Aise dans quelques mois si la Mort Sur Son Cheval se décide à attaquer. Mais la venue d'Heloïse n'est pas que l'initiation d'une campagne militaire et politique dont la survie de Loskalm est l'enjeu. Il y a autre chose. Pour trois protagonistes, c'est l'initiation de la tragédie si chère au romantisme de Loskalm, romantisme qui pourrait causer une crise politique, morale et religieuse dans la nation. Le Roi Siglat a douté de son Rêve. C'est là le signe que, peut-être, Loskalm toute entière repose sur de mauvais fondements. Si une telle nouvelle se répandait, toute entreprise de guerre serait peut-être perdue par avance. Les protagonistes auront le pouvoir de diffuser la terrible nouvelle, de décider de le faire, de décider de ceux qui méritent de savoir. Et surtout, les trois héros auront la responsabilité de la recherche de la Vérité. Et cette vérité, si chère aux Malkioni est peut-être l'initiation du doute et de la destruction. Est-ce là l'aube d'un geste de Sacrifice qui s'annonce et que les héros devront porter comme Malkion a porté son propre fardeau ? Deviendront-ils des martyrs ?
Note : Le personnage principal de l'histoire, Erek, à qui il va arriver malheur et qui sera forcé à l'exil, fut un personnage incarné par un joueur dans une précédente campagne jouée dans l'empire lunaire. Cette histoire raconte aussi comment il fut amené à quitter Loskalm et à partir pour la Passe du Dragon, sur les traces d'Arkat...
Prologue
Le prologue raconte une histoire ancienne, celle d'Alegrezie, l'auteur de la lettre qui sera trovée dans cette chanson. L'histoire est racontée par un homme qui hésite à en parler ; il s'agit d'un homme qu'on ne verra pas, et qui connaît son contenu. La femme est morte, Alegrezie. Elle écrivait. Le roi Svalanigos a quitté ses appartements. L'enfant, Erek, a vu la lettre que sa mère écrivait ; un homme l'a lue, et il sourit. Il accepte de la lui donner, et commente son contenu, parlant d'un trésor, d'un terrible secret. Peut-être se retrouveront-ils à Aise, un jour, dit l'homme qui apparaît fort jeune. Les yeux du jeune Erek sont emplis de crainte, et la voix de l'homme est remplie d'une conviction profonde, il a des yeux de braise ; serait-ce la future Mort Sur Son Cheval ? Un futur noble d'Aise. La chanson ne le dit pas aujourd'hui, mais les auditeurs savent que quelqu'un d'autre a lu cette lettre, et connaît l'hérésie d'Alegrezie...
Le Choeur
Chanté après la mise en scène du prologue, le Choeur raconte l'histoire du Rêve de Siglat, son couronnement, son rêve et son règne.
La lettre écrite par Alegrezie (trouvée par les protagonistes à la fin de la Chanson)
Au Haut-Révérend Tamblin de l'Eglise de Saint Ouxey,
En ce Mois de Messistide de l'an 1576,
Cher ami,
Voici une génération que j'ai quitté les terres de notre défunt roi, Siglat. Vous savoir encore sur les terres d'Aisenor me remplit de joie à chaque fois que l'occasion de vous écrire m'amène à me représenter les terres du nord, les hautes-terres ventées aux herbes hautes où les chevaliers poursuivent des chimères pour les yeux de leurs belles. Comme la cour d'Aise me manque ! Quel miracle fit Siglat en faisant de ces terres dévastées par Hralf le Noir une contrée de culture et de Joie par la reconstruction qu'il mena à la suite du roi Snodal. Quel fut mon privilège d'être ainsi choisie par le roi pour mettre à l'épreuve sa courtoisie. Toutes m'enviaient cette place, même lorsque le roi résidait à Pointnord, puisque jamais il ne se passait une année sans qu'il ne visita sa terre natale et la richesse de ma demeure d'Aise. J'ai bien connu Siglat, tout autant que je connais aujourd'hui Svalanigos. Pour ce dernier, je ne suis qu'une courtisane. Proclamerai-je une parole blasphématoire en prétendant que notre roi n'a pas la courtoisie de Siglat ? Vous comme moi savez qu'il ne sera pas canonisé malgré toutes les vertus qui sont siennes et sa vaillance à maintenir les principes de Siglat. Svalanigos est faible par-delà sa force, parce qu'il n'est pas habité de ce souffle de création qui touche tous les élus du Dieu Invisible.
La forme de la parole de ses prédécesseurs est par trop respectée par lui, au point qu'il la répète à l'envie, assurant leur pérennité, mais aussi l'absence d'identification personnelle. Nous devons tous saisir la présence du Dieu Invisible en nous, nous devons nous-mêmes réaliser les cinq actions, séparer formes et principes, identifier. Mais nous devons nous rappeler que le Sacrifice requit la Destruction, et qu'en cela celui qui ne fait que reproduire est condamné à la Consolation terrestre. Siglat le savait, et j'ose même dire que c'est ce qui fit de lui un Saint. Mais j'ose ici écrire ce que vous réprimeriez d'un geste si vous m'entendiez proférer de telles paroles. Au moment où j'écris ces mots, le roi dort tout près de moi, conscient que mon coeur appartient plus à mon jeune fils qu'à la largesse dont il a fait preuve à notre égard. Entendez donc ce que je ne saurais avouer au successeur de Siglat, et convenez que cette lettre n'est pas hérétique, en tant qu'elle est le véhicule de la Vérité et n'a pas d'autre but que d'inscrire dans le monde la forme sensible d'un principe : celui de la Destruction, car cette Destruction est la condition du Sacrifice, et vous savez, vous mieux que quiconque, ce que le Sacrifice signifie, vous qui avez consacré votre vie à la vigilance d'Ouxet, renonçant à la perfection par le refus de la prouesse.
Entendez donc la confession que me fit Siglat au crépuscule de sa vie, alors qu'au dehors d'une pièce qu'il ne pouvait plus quitter les cris suppliant pour sa canonisation couvraient le son des larmes qui tombaient tristement du ciel. Le roi Snodal lui avait laissé un héritage lorsqu'il vainquit Hralf le Noir. Le roi noir n'était pas le fléau de notre société. Car Snodal avait vu au nord la carte du futur de notre monde, et il l'avait vu submergé par les flots à la suite de la colère démesurée de Zzabur, fils hérétique de Malkion. Alors avait-il initié la conspiration du Dieu aux Pieds d'Argent pour assurer la survie du royaume. Avait-il réussi ou échoué ? L'Interdit des Echanges tomba sur les terres de Fronela. Echec ou succès ? Snodal ne revint jamais, mais Siglat sut que Snodal nourrissait des espoirs qui lui étaient propres et qu'il n'avait pas tout dit. L'impossibilité de la communication devait-elle conduire à la mort de Zzabur dont personne n'a plus jamais parlé ? Devait-elle permettre à notre société de Loskalm de se renforcer, initiant ainsi un idéal de société que nous transmettrions bientôt au monde ? Car certains prétendent que pour assurer une transformation des sociétés, il fallait que la nôtre soit libre de croître à sa manière, et que cette croissance supposait l'isolation, de sorte que Sdonal aurait pu annoncer le Rêve de Siglat.
Pourtant, Siglat s'est senti coupable vis-à-vis de son Rêve, et ses adeptes diront que c'est là l'expression de la souffrance des grands héros. D'autres sont prêts à promulguer notre mode de vie, notre idéal égalitaire pour donner à tous non seulement les mêmes chances mais pour instaurer ensuite un ordre politique où chacun aurait la même force. A la manière des adorateurs de Worlath et des esprits du vent, favoriser la liberté chez tous, mais dans une vraie civilisation comme la nôtre, encourager la construction d'un pouvoir au peuple, ce qui, si on s'inspire de l'ancien Brithini, nous offrirait un nouveau concept : la Démocratie, ou si on est prêt à remettre en question les institutions pour promulguer avec plus de force cet autre rêve : construire une République démocratique. Siglat songe que cet idéal n'est pas celui que prophétisait son rêve. Plus encore, il m'a avoué hésiter, douter à la manière de Malkion, certes, mais ce doute, dans ces yeux, pourrais-je y voir l'hésitation préfigurant la réussite de l'élu ? J'y vois non seulement la circonspection d'un homme mais l'exigence pragmatique de réaliser que le rêve est un idéal formel et principiel qui oublie la matière dont est faite le monde. Bien entendu, mes propos seraient-ils répandus qu'on crierait aussitôt à l'hérésie, et peut-être vous-même le ferez-vous, renonçant par là à mon amitié, m'accusant de matérialisme, voire même d'athéisme. Mais alors que je sens la maladie poindre en moi, je tiens à transmettre ce que, par la Grâce du Dieu Invisible, j'ai eu l'honneur d'entendre et la chance de voir.
Au Nord d'Aiseval se trouvent des tribus de Hsunchen tandis que l'Interdit des Echanges menace d'être levé. Les hommes de ces tribus sont-ils des barbares à convertir ? Notre société n'est-elle pas menacée à terme par son égalité ? Je suis partisane de ma propre émancipation, et je ne suis pas de ces femmes qui souhaitaient encourager la structuration patriarcale de la société. Mais l'extension logique de notre soif d'égalité, suivant la logique du perfectionnement est un état démocratique qui donnera la parole à la variété de la matière pour nous détourner de la pureté des principes. Mais l'effet sera contraire à ce que nous idéalisons, a dit Siglat, parce que l'avis défendu sera l'avis de tous, du plus grand nombre, et l'idée valorisée ne sera pas la forme la plus pure nous rapprochant du Dieu Invisible mais celle qui plaît à tous. Le mal de l'idéal égalitaire, c'est le refus de la force, du pouvoir et de la liberté. En cela, les adorateurs de Worlath ne voient pas, en s'opposant à toute volonté hégémonique que leur liberté bien-aimée est l'expression d'une puissance générant du conflit. On sait bien que le faux-dieu, le sorcier Worlath, mena à la disparition de la lumière de Ehilm avant le commencement de notre histoire. Mais voulons-nous donc la béatitude induite par la stagnation d'une société sans conflits ? La paix démocratique n'est-elle pas l'instauration d'un état totalitaire et partial, dirigé par l'universalité d'une position perdant justement la singularité nécessaire à l'appréhension de l'appel du Dieu Invisible ?
Peut-être cet idéal ne se résoudra pas ainsi, ou peut-être n'adviendra-t-il pas. Siglat m'a dit que, dans la bouche de Snodal, la pays n'était pas submergé par les eaux. En ancien Brithini, le terme « flots » est aussi utilisé pour le terme « guerre » ou « chaos », et la carte du futur révélait un monde en proie au chaos, mais non le chaos primordial que nous craignons à nos portes et dans nos marécages ; plutôt le désordre, de sorte que, bientôt, Fronela verra se dessiner et s'incarner la guerre. Siglat était convaincu que le rêve qu'il avait prophétisé était un rêve relatif à ce que permettait l'Interdit des Echanges : l'autarcie. Mais voyant les brumes se dissiper, que va-t-il se passer ? Cela, Siglat ne le prévoyait pas, mais il m'a dit percevoir l'idéal égalitaire comme rien de plus qu'une société aussi désirable que d'autres structures obéissent à des cultures distinctes. Le Dieu Invisible est partout, rappelait Hrestol, même dans les expressions chaotiques du monde, et notre Dieu est aussi dans la hache qui annoncera l'aube de notre destruction.
La Guerre viendra, et en temps de guerre, l'égalité sera-t-elle un modèle de vie aussi efficient que celui de la liberté ? Chacun prétendra en Loskalm que nous combinons adroitement les deux, mais qui, lettré, ignorera la contradiction à la racine de la distinction entre ces deux principes ? Oui, égalité et liberté, deux formes principielles liées dans la substance de Dieu. Mais dans le royaume des hommes où les idées s'incarnent séparément et particulièrement, il y a distinction indépassable. Notre société est en proie à un dilemme, toute ivre de la nouveauté qu'elle est. De toutes parts pointent les hérésies, certains revendiquant le droit à l'égalité, refusant la constitution hiérarchique des classes, ignorant qu'en revendiquant, ils contestent le principe même de l'égalité qu'ils défendent puisqu'ils affirment avec force l'imposition de leur posture. Siglat le savait, son Rêve a amené au royaume de Loskalm une Contradiction qui n'apparaîssait pas à l'état larvaire. Le droit de chacun à l'affirmation, la possibilité de la franchise, noble vertu parmi les autres, tout autant que la possibilité de la prouesse, autant d'appels à l'affirmation de soi, et je vois se dessiner des hérésies fondées sur l'exigence d'individualisme et de puissance comme le défendait l'hérésie d'Arkat, et je vois se dessiner des hérésie fondées sur l'exigence de nivellement, d'universalisation. Sommes-nous si prêts de Dieu que tous les principes que nous découvrons nous conduisent à la Contradiction et qu'il n'y a plus d'autre alternative que la Consolation ? Le Royaume de la Logique est-il si proche que nous découvrons le principe même de la Contradiction, et que le secret ultime de la forme de Dieu, d'Irensawel, le Moteur Immobile, est la levée de la Contradiction ?
Siglat ne le croyait pas. Jeté dans la Contradiction entre Pragmatisme et Idéalisme, refusant tout Matérialisme, il a prophétisé un rêve, seule possibilité pour lui de s'affranchir de l'Angoisse dont il était marqué, péchant par là-même en renonçant parfois à la foi en la Joie de Hrestol. Siglat m'a fait cette confidence, celle-ci ainsi qu'une autre. C'est que le livre qu'il a écrit de sa propre main n'a pas toujours eu la forme finale qui fut transmise à ses adeptes à la suite de sa canonisation. Siglat a écrit trois oeuvres : Le livre de la perception divine, Le livre de la vie vertueuse, Le livre de la règle juste. L'un de ces livres, et je n'osais lui demander lequel, fut réécrit, parce que Siglat ne pouvait se résoudre à énoncer sa plus profonde conviction à un peuple qui croyait en lui. Il cacha le livre dans le palais d'Aise, en un lieu qu'il ne me révéla pas, renonçant par là à le brûler parce que, disait-il, viendrait un jour où les secrets du début de son règne, et ceux qu'il avait hérités de Snodal, seraient utiles si sa nation tant aimée venait à risquer la discorde ou la destruction.
Je n'en ai rien dit au roi, pas plus qu'à mon ordre de chevalerie. Ni le secret de Siglat, ni ses doutes, ni le fait qu'il vouait une profonde sympathie aux Hsunchen dont le paganisme mettait pourtant en péril notre société. Je n'ai rien d'une sainte, et l'hérésie qui est mienne me mènerait plutôt à l'exil qu'à la Consolation. Je parle d'hérésie alors que j'ai affirmé que ces mots étaient vérité et non mensonge. Mais voyez par-là l'expression de ma Contradiction, et en tant que celle-ci était prévue et induite par la situation que je décris ici, voyez dans cette Contradiction la proclamation de ma Cohérence par Différenciation. Vérité pour moi, pour vous, mais point pour eux. Car je sais bien ce que dessinent mes propos et nos ennemis pourraient se délecter de la présente lettre pour implanter le désordre dans la nation comme le fit Arkat en renonçant aux principes qui étaient les siens au départ. Arkat était le plus grand des Pragmatiques, parce que dans sa chair humaine, il savait que nous ne sommes que des hommes et que dans les infinies variations du Dieu Invisible, l'homme ne pouvait accéder à lui que par le biais de l'expérience, luttant par tous les moyens contre toute unilatéralité. L'idéalisme est l'affirmation de la primauté des principes sur la réalité, mais lorsque l'homme fusionne principes et formes, il impose à la réalité par l'imperfection de la Rune de l'Homme la prétendue perfection d'une Révélation découverte par les prophètes. Que fit Gbaji ? Que fit Zzabur ? Qu'a fait, peut-être, Siglat ?
Les hommes de notre nation ne le perçoivent plus. Et même les sages et francs chevaliers comme le Prince Silnar ne sont pas prêts à entendre de telles révélations. Pourtant, Silnar m'est apparu curieux d'écouter des discours comme le mien. Silnar est toujours ouvert à la discussion sur nos fondations idéelles. Il eût fait un bien meilleur roi que le nôtre même si ce dernier m'inspire une véritable compassion, une pitié positive, celle dont est faite la miséricorde du saint à l'égard du chevalier vertueux qui souffre.
J'achève là ; on vient. Sans doute mon petit Erek, le premier de mes deux fils. Je lui ai demandé d'aller secrètement porter une missive à Silnar qui repartira au lever du jour pour Aise. En le voyant, j'en profiterai pour lui donner cette lettre. Hier soir, Silnar est venu à la table du roi en sa qualité de prince, et s'est assis près de moi. Le roi Svalanigos est le seul à n'avoir rien vu. Encore combien de temps ?
Dame Alegrezie de Salorna
Scène 1 : La Dame et son Chevalier
Objet : La scène donne l'occasion à Vörhid, chevalier escortant Dame Heloïse, de présenter son attachement à Pomons, ses origines, sa motivation et exprimer ce qu'il sait de l'Ordre de l'Hirondelle. C'est aussi l'occasion pour lui de convaincre Dame Heloïse qu'il y a quelque chose de politique dans sa visite au pays natal. C'est que Vörhid a reçu une lettre du Duc Meriatan le pressant d'accompagner Dame Heloïse et de la convaincre de le rencontrer en vue de l'enjeu militaire qui se dessine. Compte tenu de l'enjeu personnel du voyage de la Comtesse, Vörhid doit jouer avec les affinités de la Dame tout en respectant son droit au deuil. En somme, une épreuve de courtoisie que le Duc lui a imposée...
La Baie d'Ozur, l'arrivée à Barnthorpe dans un bateau de marchandises. Le chevalier Vörhid a décidé de toucher l'âme de la Dame Heloïse peu avant de mettre pied à terre, pour éviter qu'elle n'ait le voyage pour se poser trop de questions et la conduire à la négociation. Le chevalier avait anticipé et pensé le voyage ; il a choisi un trajet qui conduirait à parvenir au port de Pomons à la tombée de la nuit, pour s'assurer que la Dame ne voudrait pas reprendre la route trop tôt. Durant le trajet, le moral n'était pas là, pour Dame Heloïse, son père est mort, une lettre de sa mère le lui a appris. Heloïse vient rendre hommage à son géniteur. Sur le bateau, les jeunes marchands, nouveaux riches bénéficiant de l'apprentissage du sortilège d'ouverture des mers par Dormal remercie le jeune dieu pour la bénédiction qu'il leur a offerte, même si la Baie d'Ozur était auparavant l'un des seuls endroits à peu près sûr de la navigation maritime sur Genertela. Ils rient et s'amusent, prévoyant le festival auquel ils vont assister et qui attire de nombreux curieux jusqu'à la ville portuaire.
Vörhid est tendu, mais il tente de ne pas le montrer. C'est l'occasion pour lui de se révéler à Heloïse, lui parler de lui est encore le meilleur moyen qu'il a de gagner sa confiance, car au fond, Vörhid est un maître dans l'art de comprendre les femmes, tout le contraire de son frère, Erek. Et pour réaliser l'exploit de faire oublier à Heloïse le deuil, entreprise pourtant impossible, il faut la séduire, pas à la manière d'un amant, mais à la manière de celui qui veut devenir un confident. Et l'autre a confiance dès lors qu'il sait avoir pouvoir sur vous, de sorte que Vörhid doit d'abord se confier. L'air mélancolique, et en ce sens sincère car il est nostalgique de son propre pays, Vörhid évoque l'attachement qu'il a au pays de Pomons, évoquant ses terres natales, Salona, sa famille, son château abandonné à la couronne à la mort de leur père, le baron Sigird, veuf de leur mère Alegrezie. La tragédie de l'abandon des biens et des privilèges est aussi la beauté des chevaliers et des classes supérieures. Surtout, ne pas ennuyer Heloïse, ne pas s'appitoyer. Un duel s'ouvre, et si Vörhid est doué, sans qu'Heloïse le perçoive. Si elle le perçoit, il lui faudra changer de statégie de bataille, et entrer dans un discours de responsabilité et de devoir. Mais il est chevalier, mais il est courtois, et il parle à une dame de qualité, et il sait l'aimer en tant que telle. Vörhid la prend à témoin de sa propre valeur, elle qui est une noble, une première qui a prouvé sa valeur de chevalier. Il aime une femme. Voilà qui est dit. Il a suivi l'époux d'Heloïse, le Comte Malon, parce qu'elle lui avait dit que s'il ramenait une dent de dragon, elle s'offrirait à lui. Elle avait dit cela parce qu'elle savait que ce serait impossible. Mais voilà ; il y a à Aiseval, une région habitée jadis par des dragons des rêves, et Vörhid a accompli une quête héroïque, il a pénétré le rêve d'un dragon. Le croit-elle ? Peut-être pas, mais il a la dent, dans une étoffe que lui avait donné cette femme dont il tait le nom, et qui s'appelle Enéide. Elle élève des éperviers, en a toujours eu, est une femme ayant une grande force d'âme, dit-il, qui a une empathie particulière avec ces bêtes, sans doute bénie par Saint Merwyn, le patron des éleveurs. Il espère donc voir Enéide pour lui offrir le gage de son engagement en amour, et il est très pressé de la retrouver ; mais quelque chose s'impose pour l'heure : faire halte pour le repos, mais aussi pour le devoir. Ignore-t-elle que le Duc Meriatan revient d'une guerre contre les Aldryami qui a pris fin pour l'heure ? Et que le Duc est à la cour du Prince Cordwin ? En somme, Vörhid négocie avec elle une nuit au palais de Barnthorpe.
Regard d'Héloïse :
Le voyage a été long et fatiguant. La générosité d’Héloïse et sa simplicité (car elle a conscience que sa position est un sacerdoce et non pas un privilège), la prédispose à céder facilement à la demande de Vörhid et ce, malgré son désir de rejoindre sa famille au plus vite. Elle est, de plus, touchée par l’histoire du chevalier qui accomplie une quête héroïque pour les yeux de sa belle, le faisant malgré tout promettre qu’il n’entreprendra rien qui puisse mener à un adultère ou à compromettre l’honneur de la dame.
Scène 2 : Les festivités du Crabe
Objet : La cité de Barnthope célèbre une fois l'an la fête du Crabe. La Guilde des Navires-Marchands assure lsa publicité tout en garantissant à la ville une renommée à visée économique. C'est l'occasion pour Heloise et Vorhid de retrouver les coutumes de Pomons, le parfum de ses terres, la vivacité d'une gens plus dynamique que dans le nord. C'est aussi à l'occasion de la fête que les notables pourront être rencontrés, et Meriatan, accompagné du chevalier Durcàn, va présenter à Heloïse la teneur d'un projet militaire et politique. L'argument de la scène consiste enfin en la rencontre avec le Comte Cordwin de Rumlech. L'histoire dira que Cordwin prendra le pouvoir en Aiseval en 1619 à la suite de la décision de Gunreken. Ne nous savons pas encore pourquoi Aiseval perdra Bogorin à la tête de la province. Sera-t-il en disgrâce ? Sera-t-il tué ? Ou bien finalement l'histoire ne suivra-t-elle pas le chemin qu'elle était sensé emprunter ? Les Chansons le raconteront, et peut-être les trois protagonistes influenceront le destin d'Aise au point qu'aucune de ces possibilités sera la bonne...
Les chants et les animations sont aussi frappants que l'odeur des poissonneries qui aguiche les sens des arrivants. La fête du Crabe bat son plein. On y déguste des crustacés, des crabes de neige, des crabes d'Ozur aussi, et d'autres variétés encore. Les roturiers négocient des prix, des paniers de crabes. Des tables sont couvertes de coquilles, de brise-noix, de gens qui arrosent leur bonne humeur par des alcools forts produits à partir d'algues que les Ouari (Aldryami bleus) apprécient aussi pour leur chair tendre. On chante des poèmes de marins, de jeunes nobles courtisent la donzelle, des pères de la noblesse surveillent d'un air inquiet leurs filles sorties de leurs pénates pour l'occasion. Certains sorciers révèlent une part de leur savoir en priant Saint Gerid, patron des fermiers, de bénir l'élevage des coquillages et des crustacés pour les mois à venir, mais aussi en remerciant Saint Raigarn, patron des artisans, pour le savoir culinaire qu'il leur octroie. Les chapelles de ces saints de son remplies, et beaucoup ont prié, offrant à la fête une énergie liturgique qui a renforcé le vaillance des navires et béni l'avenir du port.
Le comte Cordwin est là, parmi les habitants, mêlé à eux comme dans le rêve de Siglat. C'est un homme en apparence bon-vivant, aimant l'échange, la chasse et les randonnées équestres, qui aime entendre des récits de marins ravis d'être ainsi écoutés par un homme jouissant d'un si grand renom. C'est aussi un pragmatique, à l'instar de Messire Durcàn, qui croit à l'exigence de s'adapter aux circonstances au lieu de vouloir faire plier celles-ci sous l'égide des principes. C'est un sujet sur lequel il reste prudent pour ne pas risquer l'hérésie, mais il est convaincu que les événements futurs et l'émergence du Royaume de la Guerre mettront ses méthodes au premier plan. Meriatan sait parfaitement qu'il peut espérer un appui en la personne du Comte, et se prépare à intercéder auprès de Gunreken pour le voir obtenir une promotion qui siéra aux projets de l'Ordre de l'Hirondelle. Typiquement, le Prince d'Aisenor est peut-être un prince trop courtois, manquant de la prouesse requise pour vaincre le Royaume de la Guerre. Ne faut-il pas faire du Comte le futur prince d'Aiseval ? Meriatan restera prudent à ce sujet, ne souhaitant pas indisposer la Comtesse Heloïse, d'autant qu'il ne connaît pas la teneur de ses alliances actuelles à Aise. Mais Heloïse verra que Meriatan est proche du Comte.
Le Duc est son beau-frère, mais elle peinera à le rencontrer au départ, et c'est sans doute le comte qui conversera avec eux, au départ. Il ambitionne aussi de prendre la place de Bogorin le jour où celui-ci fera un faux pas, d'autant qu'il vécut jadis à Aiseval. Il conversera avec elle et Vörhid, et travaillera à obtenir la faveur de la Comtesse sans être pour autant inconvenant dans cette première rencontre. Le Duc Meriatan, lui, est entouré de partisans, d'admirateurs. On croirait qu'il a une armée avec lui, mais il n'est là qu'avec un chevalier et l'écuyer de ce dernier. Les gens l'aime, parce qu'il est à la fois un héros et un modèle. C'est là sa contradiction première : le héros est celui qui brise les codes, bouleverse les habitudes, tandis que le modèle est celui qui porte la marque de la moralité et se pose en indice de comportement. Meriatan est pourtant les deux à la fois : il incarne l'idéal moral de Loskalm, mais n'a pas la sagesse de Gunreken. Il a l'audace, la vaillance. Peut-être n'a-t-il pas la largesse du roi, mais il a sa prouesse, et peut-être plus. Le roi est à Hrestol ce que Meriatan est à Talor. Témérité, courage, persévérance. Et il séduit, il rassemble, écoutant les roturiers avec attention, flattant la fille du tenancier de la poissonnerie tout comme la bonne mine de son boulanger.
Plus tard, Meriatan parvient à s'éclipser, bien plus tard. Au moment où il est temps de trouver des appartements à la Dame venue de si loin. Le comte l'invite à le suivre vers des quartiers accompagné de serviteurs. Le palais de Barnthope est construit à la manière d'un immense navire donnant sur la baie, peu labyrinthique, mais immense cependant, prêt à abriter des centaines de voyageurs notables qui amerrissent chaque jour au port. Le comte finit par laisser Meriatan tenir conseil. Ce dernier a prévenu le comte qu'il souhaitait demeurer un jour de plus en ville pour accueillir sa belle-soeur, et Cordwin ignore que Meriatan prépare une stratégie. Le Duc les reçoit donc dans ses propres appartements apprêtés pour l'occasion, en compagnie du chevalier Durcàn et de l'écuyer Pirul qu'aucune roturière n'a réussi à faire vibrer ce soir. Mais la rancune de Durcàn à son égard après ses maladresses lors de la guerre contre les Aldryami ne l'ont pas disposé à faire preuve de témérité en ces temps féconds d'aubaines aventurières. Meriatan doit donc convaincre Heloïse tout en prenant connaissance de la santé de son frère. Il déploie une carte de la région devant eux, et ne tarde pas à évoquer ses intentions après avoir passé un peu de temps à parler de la famille et du passé qu'il partage avec la Dame.
Son analyse crée un décalage entre la structure logique de son discours et la vaillance de son propos. C'est que Meriatan n'a pas digéré l'affront que la noblesse lui a infligé en parvenant à un compromis avec les aldryami, même s'il ne le reconnaîtra pas. Il aurait voulu les écraser pour mettre à distance tout danger, mais aussi, encore un aveu qu'il ne pourra faire, flatter son propre orgueil de chevalier. Le Royaume de la Guerre demeure. C'est une armée très bien organisée que les forces de la région de Junora peinent à contrer. Meriatan est convaincu que seul Loskalm parviendra à mettre fin à la volonté hégémonique de la Mort Sur Son Cheval, et qu'à ce titre, il faut se préparer. Si les cités de Junora ne font pas appel à Loskalm, le royaume sera bientôt face à la Guerre, même si, à la différence de Gunreken, Meriatan n'a pas compris qu'il a affaire ici à l'Incarnation de la Guerre, et qu'il n'en mesure pas les implications, ni qu'il n'envisage le lien qui peut être fait (à tort ou à raison) avec le cataclysme qu'avait entrevu Snodal sur une tapisserie magique au nord de Genertela voilà deux siècles. Si le Royaume de la Guerre attaque, tout porte à croire qu'il attaquera Pomons, et Pomons se prépare à juste titre. Gunreken a formé l'Ordre de L'Hirondelle qui a ses quartiers à Salona, là où un château leur a été spécifiquement élevé. Mais Meriatan est convaincu que la Mort Sur Son Cheval est un stratège. A ce titre, le Duc est convaincu que le meilleur moyen de faire tomber Loskalm ne passe pas par Pomons pour la simple raison qu'attaquer ensuite PointNord supposerait de passer par la mer, et que les hommes du Royaume de la Guerre ne sont pas des marins. Par conséquent, pour prendre Loskalm par la terre, le moyen le plus efficace et en même temps inattendu, consiste à contourner le marais de Dilis et à attaquer par le nord, par Aiseval.
Voilà l'intention de Meriatan. Demander à Dame Heloïse de préparer la guerre en informant le frère du Duc, le comte Malon, des craintes de l'Ordre de l'Hirondelle. Mais le secret est de mise afin d'éviter que la Mort Sur Son Cheval n'ait vent de cette stratégie. Le Royaume de la Guerre doit penser que tout sera facile en passant par Aiseval. C'est pourquoi Meriatan espère voir la province d'organiser en secret. Mais il ne cachera son inquiétude quant à la présence du prince Bogorin. Ce dernier a été nommé par Gunreken en raison de sa courtoisie. Car Aiseval est une terre de rudesse qui a connu le malheur du fait du sac de Hralf le Noir. La province n'est pas connue pour sa valorisation de la courtoisie et la romance, de sorte que Gunreken espérait voir une expansion de la culture en nommant Bogorin. L'objectif fut d'ailleurs atteint, mais Meriatan craint que le prince ne manque de vaillance guerrière malgré son passif de chevalier plus qu'honorable. Aussi espère-t-il secrètement qu'il sera remplacé, et qu'au pire un conseil de stratèges va s'organiser pour appuyer sa stratégie en Aise. Il entend donc dépêcher un de ses chevaliers, Erek de Salona, auprès de Bogorin sur la recommandation de la Comtesse Heloïse. Car si Meriatan se déplaçait en personne, la rumeur d'une stratégie pourrait voir le jour.
Meriatan laissera un peu de temps pour mûrir la question avec les protagonistes. Il est prêt à entendre leurs suggestions s'ils en ont, et peut même se laisser influencer dans ses décisions. Il est simplement convaincu de la véracité de sa supposition première : la Royaume de la Guerre attaquera Aise en premier. Il a l'intention d'accompagner Heloïse jusqu'à Pomona, puis, sa nuit de deuil honorée, de la mener jusqu'au chevalier Erek pour les présenter. Sans doute apprendra-t-elle alors que Vörhid est le frère de Erek, et que Meriatan avait prévenu le chevalier de ses intentions. Si ce courtois complot ne sera pas énoncé, peut-être peut-elle toutefois le deviner. Le Duc restera ensuite pour échanger avec elle et les trois autres chevaliers, parlant du passé, de l'Ordre, du rapport aux faits de chevalerie qu'ils ont vécus, évoquant la venue récente d'Harrek le Berserk, la mort de l'ancien prince d'Aiseval des mains d'Harrek, ces souvenirs de jeunesse... car c'est bien de la jeunesse qu'il s'agit, avant que la paix de revienne, que Meriatan ne devienne un Duc renommé à la tête d'un ordre. Le temps des aventures n'est plus pour Meriatan. Quelque part, il en vient à le regretter, et sans doute en parlera-t-il le lendemain sur le trajet. Sa sensibilité est celle du nostalgique qui voit la mémoire de sa vie se construire, et l'appel du devoir prendre une forme plus stricte, plus formelle, qui laisse moins de place à l'instinct. C'est aussi cela, se rapprocher du Royaume de la Logique : honorer les principes et les formes en puisant le fond dans la mémoire où réside l'image de Dieu...
Journal de Pirul, écuyer de Messire Durcan, chevalier de l'Ordre de l'Hirondelle
Barnthorpe, Fronday, 4ème semaine de Vernus, 1618.
Nous sommes arrivés à Barnthorpe hier à la tombée de la nuit. Le Duc nous avait demandé de l'accompagner quelques jours auparavant pour une affaire qui semblait de la plus haute importance, mais tout ce que fait le Duc semble de la plus haute importance à mes yeux. La fin de la guerre de Feuille Verte avait sonné le glas de mon affection pour la jeune Prudence, cette jolie couturière qui avait été ma muse pendant quelques semaines là-haut dans le nord. Je lui avais fait cadeau des poèmes qu'elle m'avait inspirés mais je crois qu'elle aurait préféré des preuves plus charnelles des élans de mon cœur envers sa personne. J'espérais trouver une chance de rallumer la flamme inspiratrice que ses moqueries avaient éteinte dans les yeux d'une autre, croisée au hasard de ce trajet vers la côté ouest de Pomons. Ce ne fut pas le cas. J'avais également à racheter la maladresse qui avait conduit la pointe de ma lance à entailler la chaire du bon messire Durcan, venu se porter à ma rescousse alors que ma fougue m'avait porté un peu trop au devant d'un ennemi dont j'avais sous-estimé le nombre. La cicatrice qu'il porte désormais à la base de son cou n'est rien comparé à la souillure de ma Prouesse et la tâche sur ma Loyauté à Durcan qu'elle représente. Je me console en travaillant à ma Franchise, me forçant à ne pas reculer quand je suis confronter à cet échec.
Nous avons rencontré la Comtesse Héloise d'Aisenor ce soir, au milieu du peuple lors de la fête du Crabe. Mes yeux ont cherché partout de quoi réconforter mon cœur endolori mais les regards étaient par trop embués par les effets de l'alcool d'algues et de la grivoiserie ambiante pour que la beauté de l'âme d'une jeune fille puisse me toucher.
La Comtesse a parlé avec son frère le Duc et nous avons eu la chance d'être invités à la table avec Messire Durcan. J'ai appris qu'elle était touchée d'un deuil et je n'ai pas su lui exprimer toutes mes condoléances. Ils ont pu croire que j'étais trop timide ou trop impressionné pour parler et c'était vrai. Mais mon esprit était également ailleurs, imaginant une bataille épique contre le Royaume de la Guerre où le Duc mènerait les troupes comme Saint Talor, secondé par Héloise qui s'occuperait par des prières à Sainte Kyria de protéger les chevaliers qui chargeraient les troupes de l'infâme Mort sur son Cheval. Et moi, je me battrais pour défendre la vertu d'une belle qui m'attendrait en haut de la tour du château que nous défendrions... Une référence à la blessure au cou de Durcan me ramène durement à la réalité. Je crois n'avoir pas trop démérité et assumé cette maladresse. Ce retour à la réalité m'a également permis d'entendre l'histoire de Voridh, le chevalier qui accompagne la Comtesse, qui a bravé mille dangers pour ramener à sa belle la dent d'un dragon. Si je ne puis vivre moi-même d'idylle courtoise, je bénirai la sienne en priant Sainte Palenna d'embraser le cœur de sa bien-aimée à la vue de ce gage extraordinaire de Prouesse, de Largesse et de Franchise.
Une fois rentré au château, j'ai pu comprendre pourquoi ce voyage était si important pour le Duc. Il voulait confier à la Comtesse son analyse de la situation concernant le Royaume de la Guerre. Les conseillers du Roi, mon père, l'avait guidé à construire des défense principalement à Pomons, notamment par la création de notre Ordre. Mais alors que le Duc déroulait une carte sur la table autour de laquelle nous étions rassemblés et que je me trouvais du côté du Royaume de la Guerre, je vis, je crois avant les autres, que le moyen le plus évident de parvenir à la capitale était de passer par le nord, par Aiseval. Le Duc qui avait la même analyse, et ce depuis longtemps, confiait à la Comtesse aidée de Voridh et de son frère Erek d'organiser le plus secrètement possible les défenses du nord. Messire Durcan serait le point de contact de l'Ordre de l'Hirondelle pour le soutien de cette mission.
Héloïse :
Le respect qu’Heloïse éprouve pour le frère de son époux est assez grand pour qu’elle accepte d’accéder à sa requête. Il va sans dire que sans comprendre la manipulation courtoise dont elle est l’objet, elle a conscience que le bien du royaume est un enjeu de première importance qui lui permettra aisément de convaincre Malon de l’appuyer dans cette entreprise. Elle sait aussi que le Prince Bogorin n’est peut-être pas le chef idéal dans de telles circonstances car avant d’être comtesse, elle est un chevalier, habituée au champ de bataille, comprenant parfaitement l’enjeu et l’importance d’une préparation militaire solide quand le royaume est menacé, la culture n’ayant de la valeur quand temps de paix établie.
Durcàn :
L'accord qui avait mis un terme à notre attaque contre les Aldryamis pouvait bien contrarier Meriatan. Si nous devions faire preuve de réserve, je n'en partageais pas moins sa déception. Sans doute n'avions nous pas les avantages tactiques de nos adversaires, en ces forêts, mais nous ne les aurons guère plus demain qu'aujourd'hui. Hélas, lorsque le moment inéluctable sera venu, il faudra à nouveau soulever la chevalerie, pour accomplir un devoir dont elle aurait déjà eu l'occasion de s'acquitter.
Pourtant, à la faveur des considérations que nous avions eues depuis notre retour et jusqu'à notre arrivée à Barnthope, je devais reconnaître que l'économie de nos armées nous servait. Nous devions nous préoccuper de l'émergence du Royaume de la Guerre, contre lequel Junora ne saurait résister seule très longtemps. Meriatan n'avait pas manqué de sagacité en nous portant ainsi à la rencontre d'Héloïse. J'admirais la courtoisie avec laquelle il avait su lui amener ses demandes. En quelques occasions, je l'avais déjà aperçue, mais nous n'avions pas conversé. Je ne m'attendais pas à recevoir en présent un baume pour une blessure qui me semblait aussi difficile à accepter qu'indélicat de refuser. Je m'interrogeais sur les intentions de Meriatan et ce ne fut pas une surprise de les entendre. Son analyse me semblait très juste, nous avions une stratégie peu commune à préparer avec discrétion en Aise pour parer l'invasion à venir. La confiance qu'il me portait en la matière était un honneur que je n'entendais pas décevoir. Malgré la gravité des évènements à venir, la perspective d'une action commune et honorable pour défendre le Rêve de Siglat me donnait grand espoir.
Je sentais chez Pirul depuis plusieurs semaines l'affirmation d'une intelligence fine et de qualités morales propres à faire de lui un digne chevalier. Il manquait néanmoins parfois de concentration. Je m'efforçais donc de lui enseigner la prouesse, malgré les limites de l'exercice théorique, pour imprégner dans son corps par l'effort, l'exigence d'être toujours vigilant à ce qu'on fait dans l'instant.
Scène 3 : La veillée mortuaire
Objet : La scène est l'occasion pour Heloïse de faire le deuil de son passé et de rappeler à sa mémoire son devoir religieux. En voyant la tombe de son père, elle peut réaliser que son avenir n'est plus ici, que le temps a passé et que, parvenue au sommet de son ascension sociale, il ne lui reste plus de principes à découvrir ou de formes à construire : il lui faut agir et s'engager. C'est là le sens de sa rencontre avec la Véritable Révérente de l'abbaye de son ordre : lui rappeler que le rôle d'un meneur religieux ne consiste pas seulement dans la préservation de l'ordre ou l'accomplissement du devoir voulu par le saint ; il lui faut aussi inscrire les principes de l'ordre en les mettant au service de l'exigence politique de la nation.
Le trajet jusqu'à Pomona occupe la journée suivante. Meriatan voyage sans démonstration d'aucune sorte et s'efforce de reste anonyme lorsqu'ils s'arrêtent sous le midi de Ehilm pour manger. Personne ne les reconnaît à l'auberge. Ils ont la satisfaction de voir que les routes de Pomons sont sûres et entretenues. Les pâturages plus cultivés qu'en Aiseval se dessinent devant eux, sur tout l'horizon, marquant leurs yeux de couleurs ocres et brunes, des cultures de céréales. Meriatan laisse Heloïse à son devoir et part immédiatement à Salona. Il insiste cependant pour qu'elle demeure accompagnée des deux chevaliers, plus, sans doute, parce qu'il souhaite pouvoir être informé de ses gestes à la suite de ce qu'il lui a révélé. Non qu'il doute d'elle, puisqu'elle est sa belle-soeur et qu'il connaît ses oeuvres, mais parce qu'il a l'ambition de celui qui ne laisse rien au hasard. Plus tendrement, Meriatan n'est pas une machine politique à l'image de certains nobles. Malgré ses calculs et ses stratégies, c'est un homme de franchise, et il n'oublie pas qu'Heloïse est celle qui, jadis, lui a sauvé la vie, et cela, il ne l'oubliera jamais, car elle est la marque de son échec : ne jamais être en dette de quelqu'un dit le code de la chevalerie. Ce jour-là, il l'avait donc bafoué, et Heloïse est aussi celle qui le ramène à une humilité dont il peut parfois avoir besoin.
La mère d'Heloïse, Emra, est une femme qui peut assumer un deuil. Bellias, le jeune frère d'Heloïse, est là. C'est un marchand qui s'est enrichi et possède de nombreux biens, à la différence des nobles qui ont tout abandonné en entrant dans l'ordre de la chevalerie. Son accoutrement est aussi coloré et brillant que sa mine est pâle et terne. Leur père a été enterré dans le cimetière central de Pomona, près de l'abbaye de Kyria ; le sexton des lieux pourra accompagner la Comtesse ; c'est un jeu homme qui a la responsabilité des lieux ; le précédent est mort, et l'homme est curieux de voir revenir cette femme qu'il a connue voilà longtemps, maintenant. Une chapelle mortuaire a été constituée dans la maison familiale, et Heloïse peut s'y recueillir et prier les anges d'accueillir l'essence d'un père qui l'a aimée avec toute la générosité de celui qui voulait tout donner à ses enfants. La forge reviendra à Bellias, peu avide, cependant, malgré un train de vie confortable. Sans doute Heloïse passera-t-elle deux ou trois jours à Pomona où elle passa son enfance, afin de retrouver d'anciennes connaissances, d'anciens amis ; à moins que le deuil ne l'amène à fuir les lieux aussi vite que possible pour oublier.
L'abbaye de Kyria abrite la Véritable Révérente de l'Ordre qui s'affirme ici comme le référent de la Comtesse Heloïse. Celle-ci n'a pas de supérieur en Aise, et la supérieure est ici l'occasion d'un échange sur la place de l'Ordre en Aiseval. Outre le fait qu'Heloïse pourra assister à la formation martiale des recrues, elle pourra prendre le temps de la prière et bénéficier d'une focalisation sur son devoir par le biais d'un gain magique qui lui permettra, par le recueillement dans le sanctuaire de Kyria, de mettre de côté la douleur de la perte. La Consolation terrestre prend aussi la forme de l'étude, et la Véritable Révérente, profitera de l'occasion pour échanger avec elle sur l'essence même de leurs valeurs théologiques et l'avenir de l'Ordre en Aiseval. Car l'une des tâches d'Heloïse est aussi de recruter et promouvoir le statut de Kyria. Autour de l'abbaye, l'activté de l'ordre est menée avec soin et promulgation. Des chevaliers féminins s'affairent, revenant de toutes parts du royaume.
De manière plus distrayante, on peut être surpris de trouver une femme courtoise et franche qui compte fleurette à un damoiseau. Peut-être Sainte Pelenna s'en offusquerait-elle, mais dans une société égalitaire, dans le Rêve de Siglat, les femmes qui ont prêté foi au rêve ont compris que l'égalité sociale est aussi l'équilibre des postures, et les femmes séduisent aussi les hommes, bien que les habitudes soient tenaces, et le fait rare. L'affirmation de soi, la solidité des moeurs des adeptes de Kyria font d'elles des femmes entreprenantes qui aguichent courtoisement les damoiseaux en leur déclamant le récit de leurs exploits ou la beauté d'une poésie. La posture pose indéniablement un problème, car au-delà du renversement des coutumes qui peinent encore à être intégrées dans les moeurs cinquante ans après la mort de Siglat, l'attitude contredit les principes de la logique, car les principes féminin et masculin sont distincts, et le Dieu Invisible a donné des formes distinctes en séparant leurs formes de ces principes. S'ils sont si logiquement distingués, comment supporter l'égalisation de ces postures. Siglat a-t-il donc été si inspiré ? Durcàn ou Pirul peuvent bien être interpellés par une telle étrangeté.
Journal de Pirul, écuyer de Messire Durcan, chevalier de l'Ordre de l'Hirondelle
Pomona, Acoday, 4ème semaine de Vernus, 1618.
Pomona, Acoday, 4ème semaine de Vernus, 1618.
Aujourd'hui, alors que je marchais dans les rues de Pomona, j'aperçus une jeune chevalière, le genou à terre, les yeux vers le ciel, en train de chanter une sérénade à l'homme de son cœur, perché sur le balcon de sa demeure. Je pensais immédiatement à Sainte Palenna séduisant son amant Renard. Mais est-ce du fait que la dame prenne une posture d'homme dans sa séduction ou que cette vision me renvoie à ma propre solitude qui fit que cette image fugace me causa une gène ? J'ai toujours du mal à l'expliquer alors que je jette ces quelques mots sur le papier à la lumière d'une chandelle dans la mansarde prêtée par la famille de la Comtesse ?
Regard d'Héloïse :
Contrairement à ce qu’énonce l’intitulé de la scène, le retour d’Héloïse dans sa ville natale est une occasion de lui rappeler ses origines et ses devoirs. On ne s’élève que par le mérite et la foi dans un sacerdoce. Son rôle est de montrer l’exemple et de protéger le peuple dont elle a la charge. L’humilité est cruciale ici. Elle n’hésite donc pas à aider sa mère dans ses tâches ménagères et assure la Véritable Révérende que la voie de son fils ainé parmi les chevaliers errants fait sa joie et sa fierté parce que son enfant assume le destin qu’il s’est choisi. En aucune manière il n’est question de lui assurer une situation plus confortable par le biais de son influence et si ses autres enfants venaient à faire le choix d’une vie honorable parmi le peuple, elle ne contesterait jamais ce désir.
Regard de Durcàn :
L'accueil dans la famille d'Héloïse fut admirable, sa mère Emra traversait le deuil avec grand courage et son frère Bellias entretint une conversation fort instruite, qui m'amena même à m'ouvrir sur la beauté que m'inspirait notre royaume, un sentiment que rejoignait Vorhid. Ces quelques jours d'hospitalité furent aussi l'occasion de méditer sur les évènements et de trouver dans les racines loskalmis l'inspiration du Dieu Invisible, dont découle notre capacité à accomplir notre devoir.
Scène 4 : Messire Erek de Pomons
Objet : La scène présente le chevalier Erek qui fut un protagoniste majeur des chroniques de Sartar racontée entre 1619 et 1622, jusqu'à sa mort lors du retour aux cieux du vaisseau planète dans lequel passera le reste de l'éternité.L'histoire raconte pourquoi il fut banni de Pomons. Erek est aussi un idéaliste hérétique,quelqu'un de faillible aussi, qui va participer, à sa manière et involontairement à l'humeur dont se composera l'émergence de la Guerre des Héros en Fronela. Meriatan entend convaincre Erek d'accompagner Heloïse en Aiseval. S'il n'est pas opposé à cette idée, il va révéler toutefois un point de vue, lui, admirateur d'Arkat alors même qu'il adhère au Rêve de Siglat, qui peut choquer des loskalmi traditionnalistes. Erek est un rebelle, et en cela, s'affirme comme un héros par la posture qu'il prend malgré lui.
Le château de l'Ordre de l'Hirondelle a été construit récemment au Nord de Salona, près de la frontière de Junora. Les chevaliers sont nombreux, s'entraînant au maniement des armes, étendant leur influence et s'organisant jour après jour, vaquant à leurs occupations sécuritaires. Sont arrivés trois mercenaires au camp de l'Hirondelle au-dessus duquel flotte l'étendard de l'unité, arborant le blason de Meriatan, le profil d'un oiseau en plein vol. Les mercenaires sont des rôdeurs de Junora. Le fait est fréquent depuis la levée de l'Interdit des Echanges, la vigilance est de mise bien que la sécurité des habitants soit, pour l'heure, assurée. Meriatan est dans ses appartements ; il reçoit les personnages, s'enquiert de la santé d'Heloïse et de sa famille. Meriatan a sa propre famille à Salona, et celle-ci est, indirectement, celle d'Heloïse par le biais du mariage à Malon, le frère jumeau. Le visage de Meriatan peut bien toucher Heloïse, elle ne peut l'ignorer, d'autant qu'à la différence de Malon, Meriatan a quelque chose de plus solide, de plus affirmé, une vaillance qu'aucune femme, marquée des anciennes moeurs, ne peut ignorer.
Erek n'est pas en avance. Il s'excuse. Il n'avait pas encore eu le temps de revoir ses anciens amis de Salona, et son compère Jöns, un chevalier quelque peu déchu pour ses frasques, est toujours son ami. Meriatan n'autorisera pas Erek à faire de Jöns son écuyer, mais cela pourrait changer si c'est là la condition pour que Erek accepte la mission que Meriatan veut lui confier. C'est que le Duc sait d'Erek honorera la mission avec efficacité, parce qu'il est un loskalmi singulier prêt à jouer sur ses principes tout en respectant l'exigence de loyauté et d'honneur. Malgré ses principes, la forme de ses actions est ouverte à la modulation, c'est là sa qualité, et Meriatan a besoin de quelqu'un de pragmatique, autant que possible, malgré l'ambiguité d'une telle posture en Loskalm. Alors il faut convaincre Erek, ce qui n'est pas très difficile ; mais bien entendu le chevalier accepte à la condition qu'il puisse faire de son ami Jöns, injustement déchu de son point de vue, son écuyer. Meriatan réfléchit, ou plutôt fait semblant de réfléchir, pour qu'Erek perçoive que cela lui pèse, parce qu'il veut être sûr qu'Erek soit engagé vis-à-vis de l'idée selon laquelle Meriatan aurait consenti à un sacrifice. Mais le sacrifice est ici mineur ; l'affaire est d'importance nationale, et Meriatan sait tout de même distinguer ce qui relève de la fantaisie morale et ce qui requiert la force des armes et celle de l'âme. Il consent, et signifie à Erek qu'il pourra armer Jöns le lendemain, s'il le souhaite. Erek accepte donc, et propose à l'assemblée de venir manger à sa table. Meriatan a trop à faire, mais les autres pourront l'accompagner. Erek se met en chemin, exultant à l'idée que son frère est présent, près de lui, ayant été dans ses bras à son entrée dans le château. Erek aime Vörhid comme sa seule véritable famille, et donnerait tout pour lui. Vörhid, plus jeune qu'Erek, admire son frère, bien qu'il soit marqué par la culpabilité. C'est que la femme d'Erek, Enéide, est celle que Vörhid aime de toute son âme, et l'amour interdit est aussi ce qui donne des ailes au désir de Vörhid. Quelle situation plus romantique que l'amour impossible pour quelqu'un qui est aimé de son propre frère. Sainte Pelenna n'encourage pas la tragédie, mais il est indéniable qu'une telle histoire contient une part de beauté.
Journal de Pirul, écuyer de Messire Durcan, chevalier de l'Ordre de l'Hirondelle
Salorna, Haranday, 1ère semaine de Fervidor, 1618.
Salorna, Haranday, 1ère semaine de Fervidor, 1618.
[...]
Nous sommes passés par une petite masure, situé le long d'un cours d'eau, à l'abri d'un bosquet. Jöns était là, en train de couper du bois. En voyant son visage, son allure globale, je me remémorais les sentiments que j'avais associés à son nom. D'abord l'indignation lorsque j'avais appris qu'il avait exprimé son athéisme, lui l'écuyer d'un chevalier. Puis de l'envie pour l'amitié que lui portait Erek, qui n'avait pas hésité à se confronter à un héros, le Duc Mériatan, pour préserver sa relation avec son compagnon. Messire Durcan aurait-il fait la même chose pour moi ? Il l'aurait peut-être fait si j'avais été injustement accusé mais il n'aurait pas renié la justice pour moi. Cela aurait été la dénégation de sa foi la plus profonde.
Et maintenant de l'étonnement devant la pale figure qui nous recevait.
En revanche, j'ai été choqué par l'accord qui s'est noué entre la Comtesse Héloise, Ererk et Jöns. La Comtesse acceptait de passer outre l'opprobre jeté sur Jöns si celui-ci restait discret sur son athéisme à l'avenir. Messire Durcan a semblé validé ce serment en y jetant le verbe de Sainte Taralda. Comment pouvaient-ils faire preuve d'un pragmatisme aussi affligeant en acceptant de mettre leurs vies et les secrets de l'Etat dans les mains d'un homme qui reniait la Vérité du Dieu Invisible. A l'aune des évènements qui se sont passés ensuite, l'idéalisme dont je faisais preuve à ce moment là n'était peut-être que de la naïveté ridicule [...]
Regard d'Héloïse :
Ici, le point de vue d’Héloïse correspond à celui de Meriatan, tout du moins, en partie. Il va sans dire qu’elle espère cependant ramener Jöns sur le droit chemin de la piété. Elle comprend rapidement que l’aimée de Vörhid est l’épouse d’Erek, mais confiante dans la loyauté et la droiture du chevalier, elle se refuse à intervenir.
Regard de Durcàn :
Chevaucher aux côtés de Mériatan avait pour conséquence de donner à faire nombre de rencontres, qui constituaient d'ordinaire de passionnants échanges. Il se trouvait que j'avais déjà croisé la route d'Erek et que ce dernier me l'avait remémoré en évoquant sa présence dans la campagne dernière. Le duc avait choisi ce chevalier pour appuyer son action en Aise et l'avait fait venir pour nous le présenter. De mon souvenir, il n'avait jamais été le plus proche de l'idéal chevaleresque de Hrestol, mais sa loyauté pour Mériatan ne faisait aucun doute. Ne pouvant refuser une telle demande du duc, il demanda néanmoins que le prénommé Jöns soit autorisé à rester auprès de lui comme écuyer en dépit de certains faits récents. Il se trouvait aussi que je me souvenais de ce Jöns, hélas en des termes peu glorieux. J'avais eu l'occasion d'entendre le rapport de blasphèmes prononcés par cet individu, et de faire part de ma pensée à ce sujet à Mériatan. La sorcellerie de Sainte Taralda prônait une justice d'intelligence et de compassion, ainsi par l'application la plus adéquate possible de ses enseignements, j'avais suggéré que la réparation de l'offense, et au-delà la réalisation de l'absurdité de l'athéisme, pouvaient être réalisées au travers d'une sanction qui prendrait la forme d'une tâche, d'une quête même.
Il m'était néanmoins délicat de concevoir qu'un individu comme Jöns, qui avait expérimenté la démonstration du malkionisme dans ses formes et dans le rêve de Siglat, possédait en son esprit tant de contradiction qu'il était incapable d'entrevoir les principes. J'avais vu l'incompréhension de Pirul devant l'acceptation d'Héloïse lorsque nous sommes allés le voir, et qu'après une conversation, Jöns s'était engagé à ne plus contredire le saint dogme loskalmi, sous entendant par là que l'erreur de la pensée demeurerait chez lui. L'idéalisme de mon écuyer ne lui permettait pas de considérer le compromis comme une transition, là où l'expérience d'Héloïse l'amenait à appuyer un processus de remise en cause qu'elle souhaitait vertueux. La décision revenait à Héloïse. Je prévenais pour ma part Jöns que je serai à l'avenir particulièrement attentif à ce qu'il respecte son engagement, avec toute la rigueur qui sied aux adeptes de Sainte Taralda.
Scène 5 : La mémoire d'Alegrezie
Objet : La scène permet d'appréhender le personnage d'Erek pour les trois protagonistes, de construire une relation, certes courte, avec lui. C'est aussi l'occasion de rencontre Enéide, de réaliser, pour Heloïse, que Vörhid, qu'elle tragédie se prépare, à court ou long terme. Que fera-t-elle ? Sera-t-elle celle qui révèlera à Erek la trahison ? Se taira-t-elle ? Où est son devoir ? La confiance, la fidélité ? La vérité et la franchise ? Que faire lorsque les principes de chevalerie sont en contradiction ? La vérité peut-elle donc émerger de la contradiction ? Erek ne le pense pas, et le repas qui va suivre révèle pourquoi Erek ne croit pas à la Joie de Hrestol ni au Rêve de Siglat même s'il s'y conforme par conviction plus personnelle. Une lettre, un vestige de sa famille, qu'il aurait du abandonner : la mémoire de sa mère, Alegrezie, une lettre dont même Vörhid ignorait l'existence
Erek emmène les protagonistes dans les environs de Salona, une riche ferme possédée par la famille d'Enéide, presque un petit manoir. Le père n'est plus, la mère non plus. Enéide y vit seule avec des serviteurs qu'elle paye la journée ou la nuit pour les tâches quotidiennes. Perda, sa servante, s'occupe du confort des convives, et Beneric s'occupe du reste de la demeure. Un repas copieux leur est présenté, et Enéide est une bonne maîtresse de maison qu'Erek a retrouvée voilà quelques jours. Elle est bien entendu troublée par la présence de Vörhid, et lui de même, bien que sa sagacité et sa conviction ne permette pas de déceler de la gêne sur son visage. Une complicité dans son regard peut être perçue, mais elle peut être vue comme celle d'un beau-frère qui a appris à apprécier sa belle-soeur, à la manière de Meriatan pour Heloïse par-delà le lien plus historique et dramatique qui lie ces deux derniers. A l'issue de la consommation du gibier et d'un vin délicieux, Erek enrage la conversation au milieu de laquelle Enéide s'absente pour aller s'occuper e ses éperviers et ensuite se coucher, notamment une fois qu'Erek aura évoqué leur rencontre. La genèse de leur amour reprend un mythe bien connu, un leitmotiv traversant l'espace et le temps :
Il parcourut le royaume seul à la recherche d’une promise. Parvenant dans un bourg sans prétention, il lut l’annonce d’un office : « A celui qui voudra obtenir l’épervier, il lui faudra avoir une amie belle et sage, sans vilenie. S’il se trouve chevalier assez hardi pour oser revendiquer pour son amie le prix et l’honneur de la plus belle, il fera prendre l’épervier par elle sur la perche aux yeux de tous, à moins que quelqu’un n’ait l’audace de le lui défendre. » Or Erek logeait chez un chevalier fort pauvre, mais celui-ci avait la plus délicieuse des filles, dont la beauté n’avait d’égale que la pureté de la blancheur de sa peau. Il emmena Eneïde avec lui et lui aurait fait prendre l’épervier si un chevalier, tenant le titre, ne le lui avait refusé en avançant aux côtés d’une dame fort belle, mais moins courtoise que la divine Eneïde. Erek lutta, et vainquit. Il épousa Eneïde, car Erec avait toujours agi avec promptitude, et son instinct l’avait rarement mis en défaut. Plus tard, il rejoignit l'Ordre de Chevalerie de Meriatan.
La discussion se poursuivant, Eneïde partie, Erek en vient à évoquer la raison réelle pour laquelle il a accepté la proposition de Meriatan. Il se révèle lui aussi stratège, avouant par là qu'il a demandé la réhabilitation de Jöns alors même que, quoiqu'il arrive, il aurait accepté ce que proposait Meriatan. En cela, Erek est un pragmatique, et la conciliation entre son pragmatisme est, il l'avoue, une difficulté quotidienne à appréhender. Mais Erek reconnaît ici, en toute franchise, son hérésie, celle d'Arkat : la fin justifie les moyens si la fin est noble. Le mal, prône Arkat, est positif s'il engendre un plus grand bien. Erek avoue ne pas toujours pouvoir s'adonner à cet idée, parce qu'il est loskalmi, et l'amour de l'idéalisme coule dans ses veines. Mais il peut bien l'avouer, sa mère était une pragmatique, et elle lui a laissé un lourd secret qu'il est prêt aujourd'hui à révéler. Il sort d'une petite boîte, cachée donc dans la demeure d'Enéide, un rouleau contenant une longue lettre. Il leur dit que la franchise le pousse à leur révéler l'autre raison pour laquelle il les accompagnera en Aiseval. Il lit la lettre, ou demande à Heloïse de la lire, car les mots d'une femme raviveront bien mieux le souvenir de sa mère à sa mémoire.
A l'issue de la lecture, les protagonistes devraient être interdits tout autant que circonspects. Ce rouleau est un trésor autant qu'une malédiction. L'un d'eux peut bien souhaiter sa destruction, mais ce qu'il annonce devrait les prémunir d'un tel désir. Erek a souvent pensé cette lettre, et peut bien exprimer ce qu'il ressent à cet égard. Il y a là les raisons pour lesquelles il a douté de l'idéalisme de Loskalm et qu'il a considéré l'hérésie d'Arkat comme une vision peut-être plus juste de la pensée malkioni. Vörhid apparaît scandalisé, parce qu'Erek ne lui a jamais fait part de cette lettre. Mais la vérité est que l'âme de Vörhid le pousse insidieusement à en vouloir à son frère, car s'il a cette violence en lui, il pourra justifier l'acte de vilénie qui est la sienne en proclamant son amour à Eneïde dans le secret de la demeure. Oui, le chevalier est frappé du souvenir de sa mère, et sa passion coupable pour la figure féminine qu'il n'a pas connue et qu'Erek a eu, lui, la chance de côtoyer, est l'expression d'un manque profond qui marque une jalousie susceptible de justifier sa trahison. Vörhid quitte la pièce, souhaitant la solitude, prêt à justifier ce qu'il ne s'était pas résolu à faire. Ilprend un peu de temps dehors, peut-être rejoint par un des protagonistes, versant quelques larmes, les versant aussi parce qu'il habité d'un mal plus profond, et la coquille s'est fêlée au point maintenant d'être craquelée. L'effondrement. Vörhid peut à peine parler et finit par s'éclipser.
Journal de Pirul, écuyer de Messire Durcan, chevalier de l'Ordre de l'Hirondelle
Salorna, Haranday, 1ère semaine de Fervidor, 1618.
Salorna, Haranday, 1ère semaine de Fervidor, 1618.
[..]A l'arrivée dans la propriété de la femme d'Erek, en apercevant l'immense volière et les éperviers, je revois le tissu imprimé d'un de ces oiseaux dans lequel la dent de dragon est protégée, je comprends alors qui est l'objet aimé de Vöridh. Ce genre de relations est compliqué et le secret est toujours le meilleur moyen de protéger la pureté et j'adopte cette tactique.
Pendant le repas, Enéide raconte comment elle et Erek se sont rencontrés. L'histoire est très belle et mériterait qu'elle reste dans les mémoires. Je me promets de la raconter. Je tairai la fin tragique de cette histoire.
Ensuite, une fois Eneide sortie pour s'occuper de ses oiseaux, Erek avoue qu'il a conservé une possession, la dernière lettre de sa mère écrite sur son lit de mort que lui a donné un mystérieux homme. J'ai lu la lettre aux autres, après que Voridh l'ait lu en silence. Il est parti en colère, furieux contre son frère qui lui avait caché pendant tant d'années un objet avec une valeur sentimentale dont Erek ne mesurait pas l'importance aux yeux de son frère. Le choc que cette lettre a provoqué en moi n'avait rien à voir avec la valeur sentimentale, mais elle a ébranlé les piliers de mon monde, fait vacillé le socle des valeurs de la foi qui dirigent une grande partie de ma vie. [...]
Regard d'Héloïse :
Héloïse est ennuyée par les échanges de regards entre leur hôtesse et le beau-frère de celle-ci, mais une fois encore, ça confiance dans la noblesse de cœur de Vörhid lui interdit tout intervention. Ne lui a-t’il pas promit qu’il ne commettrait rien qui puisse compromettre l’honneur de sa belle ? La lettre en revanche l’effraie et la dérange. Que peut bien contenir le fameux livre caché ? Est-ce dangereux pour l’idéal auquel elle croit sincèrement ? Se pourrait-il que la nécessité exige de trouver et d’utiliser ce livre ? N’est-ce pas se tourner vers un chemin semblable à celui d’Arkat et ainsi échouer dans sa tâche ?
Regard de Durcàn :
Terrible document, que l'héritage qu'Erek n'a pas su ou pas pu abandonner alors qu'il devenait chevalier. Le doute peut effrayer, mais la frayeur est une condition à surmonter, car elle doit nous permettre ici de faire preuve tant du courage de braver l'inconnu, d'accepter l'héritage qui est le nôtre, que de la logique requise pour lever les contradictions et nous transcender dans la direction du royaume du Dieu Invisible. Là où certains pouvaient voir matière à pensée, je préfère trouver matière à action, et considérer que nous ne devons pas tirer de conclusions hâtives, tant que nous n'avons pas mené les quêtes qui décideront nos actes.
Scène 6 : La trahison et le meurtre
Objet : La scène manifeste le meurtre de Vörhid par son frère, et peut-être celui d'Eneïde. Si l'acte annonce la déchéance d'Erek, dont les conditions étaient annoncées auparavant dans l'histoire de sorte que la fatalité s'abat par là sur lui,l'acte fait quitter à Erek son droit à agir librement avec l'histoire : Erek n'aura plus le droit ni le moyen de décider de l'avenir à donner à la lettre de sa mère. Les trois protagonistes ont là le loisir de sauver la vie d'une femme, et sont les témoins du renoncement d'Erek à une destinée qui va leur revenir : obtenir un pouvoir de transformation de la société de Loskalm en maîtrisant les conditions d'une réforme, au moins, du credo éthique de la société.
Erek poursuit la discussion, miné quelque peu par les reproches de son frère. Il finit par s'absenter, demandant lui aussi l'intimté pour aller voir son frère. Il lui a laissé près d'une heure, et espère que Vörhid aura compris quelle exigence politique, quel devoir, imposait à Erek de taire le contenu de la lettre même à son propre frère. Les trois protagonistes attendent, e échangent sans doute durant quelques minutes, jusqu'à ce qu'un cri terrible se fasse entendre. C'est le cri d'une femme. Cela se passe près du lieu où se trouvent les éperviers ; Eneïde est là, mourante, transpercée par le poignard d'Erek qui l'a encore à la main, les yeux fous. Vörhid gît, mort, à terre, et Erek est prêt à s'élancer sur elle à nouveau. Elle le supplie de la laisser lui expliquer, l'amour de Vörhid, l'éloignement d'Erek, et l'amour de Pelenna est au fond une courtoisie et non une fidélité. Des justifications idéalistes servant une fin pragmatique, pour Erek, car le but n'était que de rejoindre la couche de l'autre, de sonpoint de vue. Du mensonge déguisé sous la forme esthétique promulguée par les saints.
L'amour courtois, Erek l'a toujours haï, car il contestait l'idée qu'il s'agisse là d'un amour franc et honnête. Sa femme l'a trompé, avec son frère ! Quel principe peut bien guider le jeu de la passion qui le saisit ? Que devient le sacrifice d'un prophète ou d'un saint face à la douleur d'un homme ? Erek jure, par le Dieu Invisible auquel il croit, qu'aucun homme fait saint ne peut comprendre ce qu'il ressent. Il la tue, ou essaie, même s'il l'a déjà tuée, et que la blessure est assez profonde pour la vider de son sang depuis ses entrailles. La magie d'Heloïse peut-elle la sauver ? Sera-t-elle sauvée ? Si Heloïse y parvient, peut-être, au prix du temps. C'est là son rôle, sauver une âme en perdition contre l'adversité, la violence. A-t-elle raison de le faire ? Vient ici l'exigence des principes. Heloïse le fait, sans doute, mais la tâche est difficile. Eneïde, morte ou vive, ne parlera plus pour l'heure. Et quand bien même, que pourrait-elle dire ? Erek s'enfuit, avec la dangerosité et la puissance de celui qui est mu par une double haine, celle des autres et celle de soi. La demeure est aux mains des chevaliers, les deux serviteurs sont consternés, s'enfuient peut-être, s'ils ne sont pas calmés, pour révéler un meurtre, un geste rare dans la société de Siglat.
Journal de Pirul, écuyer de Messire Durcan, chevalier de l'Ordre de l'Hirondelle
Salorna, Haranday, 1ère semaine de Fervidor,, 1618.
[...] Nous étions terrassé par la lecture de la lettre. J'attendais un réconfort, un signe de la part de mes deux ainés mais rien ne vint, rien qui enlevait ce malaise. Nous étions tous les trois assommés. Je sortis le premier, rejoindre Erek en espérant que l'air frais de la nuit me rendrait un peu de contenance. Il n'était pas devant la maison. Alors que je commençais à faire le tour de la ferme pour dégourdir mes jambes, le cri d'une femme retentit dans la nuit. En une seconde, tout me revint en mémoire. Les éperviers, Enéid, la dent de dragon, le mari trahi... Quand mon esprit commanda à mes jambes de courir vers le cri, j'étais déjà à mi-chemin de la volière et il me fallu quelques secondes de plus pour arriver sur place et constater l'étendue du drame. Voridh gisait au fond, contre les barreaux, Eneid avait les mains ensanglantées posées sur son ventre. Elle respirait encore. Erek était debout à quelques pas d'elle, le regard fou, tous les muscles de son visage tendus lui donnant une expression effrayante. Je me mettais entre lui et sa femme pour préserver ce qui pouvait encore l'être. Il ne semblait pas me voir et il avança vers elle. Comme me l'avait appris Durcan, je saisis la lame de mon épée dans la paume de ma main gauche et parait sa lame avec le bout de mon épée tandis que ma garde allait se fracasser contre le nez de l'agresseur. Il tomba à la renverse et s'écroula contre les barreaux de la cage. La Comtesse arriva quelques instants plus tard et se précipita sur Enéid, constatant qu'elle ne pouvait rien pour le chevalier. Si la situation n'avait pas été aussi dramatique, j'aurais pu savourer la Prouesse dont je venais de faire preuve. La Comtesse m'envoya chercher de l'aide au château. Le meurtrier en profita pour essayer de s'enfuir, vers son ami Jöns certainement. Messire Durcan eut tôt fait de le rattraper et de le ramener captif.
Alors que je chevauchais à toute allure vers le château, mes yeux s'embuèrent de larmes, les larmes que Sainte Palenna aurait versées pour cet amour détruit par la jalousie. A mon retour, un calme morbide régnait sur la propriété. Enéid était entre de bonnes mains et elle ne devait la vie qu'à la sorcellerie de Sainte Kyria. Erek était abasourdi, plus entravé par les fers de sa propre culpabilité que par les cordes qui le retenaient. Je mis en sécurité le tissu et la dent de dragon. Alors que nous accompagnions Erek au chateau où il serait jugé le lendemain, je pris l'initiative de faire un détour pour aller prévenir Jöns. Je n'appréciais pas ce ruffian, mais l'amitié qu'Erek et lui partageait méritait qu'il fut prévenu aussitôt. [...]
Salorna, Haranday, 1ère semaine de Fervidor,, 1618.
[...] Nous étions terrassé par la lecture de la lettre. J'attendais un réconfort, un signe de la part de mes deux ainés mais rien ne vint, rien qui enlevait ce malaise. Nous étions tous les trois assommés. Je sortis le premier, rejoindre Erek en espérant que l'air frais de la nuit me rendrait un peu de contenance. Il n'était pas devant la maison. Alors que je commençais à faire le tour de la ferme pour dégourdir mes jambes, le cri d'une femme retentit dans la nuit. En une seconde, tout me revint en mémoire. Les éperviers, Enéid, la dent de dragon, le mari trahi... Quand mon esprit commanda à mes jambes de courir vers le cri, j'étais déjà à mi-chemin de la volière et il me fallu quelques secondes de plus pour arriver sur place et constater l'étendue du drame. Voridh gisait au fond, contre les barreaux, Eneid avait les mains ensanglantées posées sur son ventre. Elle respirait encore. Erek était debout à quelques pas d'elle, le regard fou, tous les muscles de son visage tendus lui donnant une expression effrayante. Je me mettais entre lui et sa femme pour préserver ce qui pouvait encore l'être. Il ne semblait pas me voir et il avança vers elle. Comme me l'avait appris Durcan, je saisis la lame de mon épée dans la paume de ma main gauche et parait sa lame avec le bout de mon épée tandis que ma garde allait se fracasser contre le nez de l'agresseur. Il tomba à la renverse et s'écroula contre les barreaux de la cage. La Comtesse arriva quelques instants plus tard et se précipita sur Enéid, constatant qu'elle ne pouvait rien pour le chevalier. Si la situation n'avait pas été aussi dramatique, j'aurais pu savourer la Prouesse dont je venais de faire preuve. La Comtesse m'envoya chercher de l'aide au château. Le meurtrier en profita pour essayer de s'enfuir, vers son ami Jöns certainement. Messire Durcan eut tôt fait de le rattraper et de le ramener captif.
Alors que je chevauchais à toute allure vers le château, mes yeux s'embuèrent de larmes, les larmes que Sainte Palenna aurait versées pour cet amour détruit par la jalousie. A mon retour, un calme morbide régnait sur la propriété. Enéid était entre de bonnes mains et elle ne devait la vie qu'à la sorcellerie de Sainte Kyria. Erek était abasourdi, plus entravé par les fers de sa propre culpabilité que par les cordes qui le retenaient. Je mis en sécurité le tissu et la dent de dragon. Alors que nous accompagnions Erek au chateau où il serait jugé le lendemain, je pris l'initiative de faire un détour pour aller prévenir Jöns. Je n'appréciais pas ce ruffian, mais l'amitié qu'Erek et lui partageait méritait qu'il fut prévenu aussitôt. [...]
Regard d'Héloïse :
Le seule préoccupation d’Héloïse dans cette scène est de sauver Enéïde tandis que Pirul va chercher de l’aide et que Dùrcan poursuit Erek. Et une pensée : Erek n’est pas digne d’être un chevalier. Un chevalier défie en duel son rival amoureux. Il ne le tue pas par traitrise. Il ne tue pas une personne qui ne dispose pas d’une arme et de la possibilité de se défendre.
Regard de Durcàn :
Rarement avais-je éprouvé une indignation aussi absolue devant des faits couvrant de honte la sainteté de notre royaume ! Je pouvais comprendre la folie en amour d'un homme, mais la gravité du geste était inadmissible ! Erek, dans sa douleur, avait bafoué les plus fondamentaux de nos devoirs de chevaliers, et de loskalmis. Je refusais pourtant de céder à la moindre sauvagerie. Ce serait faire déshonneur à la raison et à la conscience déjà bafouées. Je devais m'assurer qu'il soit ramené devant Mériatan et que la sentence appliquée le soit dans le cadre le plus digne et le plus juste possible, car il faut éprouver ces principes pour voir de quelle manière ils nous révèlent la Joie de Hrestol. Héloïse et Pirul eurent ces réactions honorables et efficaces, et lorsque la confusion des évènements fut retombée, je gardais à l'esprit la vaillance de ces compagnons d'arme, et le tristesse et l'horreur du sort qu'avait connu Enéide et Vorhid. Je me promettais, intérieurement, de redoubler d'efforts pour empêcher que de telles tragédies se reproduisent.
Scène 7 : Jöns, le matérialiste
Objet : La scène présente l'ami d'Erek, Jöns, chez qui Erek s'est réfugié, en proie à la peur, non des conséquences de ses actes, mais de lui-même. Les protagonistes doivent décider la marche à suivre, tenter de résoudre le conflit par eux-mêmes, laisser s'échapper Erek, ou le conduire au Duc Meriatan pour préparer un jugement. Mais c'est là l'occasion d'une confrontation idéologique, parce que Erek a rompu l'idéal, certes sous le coup d'une folie furieuse, mais Jöns peut bien lui donner raison, et par son discours, implacable, pragmatique, donner du fil à retordre aux protagonistes désireux de préserver la santé morale de leur engagement envers Loskalm.
Erek s'est réfugié chez l'ami qu'il a déjà évoqué : Jöns, qui est un écuyer blessé dans sa chair, renvoyé par Meriatan parce qu'il n'obéissait pas aux principes élémentaires de Loskalm. Jöns n'est pas un véritbale malkioni. Il en a la culture, mais c'est, comme certains de Loskalm, un authentique athée, matérialiste de surcroît, qui ne croit ni aux dieux, si aux mythes. Il a lu et écouté les sorciers qui racontent que jadis les hommes comme les uz ou les erravsarr sont sortis d'une même espère ; il a lu l'idée selon laquelle tout est composé de particules infimes de matière. C'est un homme cultivé, qui aurait la crédibilité d'un scientifique s'il n'était pas plongé dans un profond cynisme, celui de l'homme qui ne peut pas convaincre sa société et a fini par se retrancher en ironisant sur la naïveté du monde, croyant que des esprits le hantent, croyant qu'un bon dieux s'occupe des hommes ou qu'un homme qui n'a plus de cerveau peut perdurer sans celui-ci en se rappelant sa vie.
Erek est prostré, et Jöns est prêt à le défendre. Si les protagonistes attaquent frontalement sa demeure, il est prêt à la déendre jusqu'à ce qu'Erek n'intervienne pour lui dire que cela ne sert à rien. Mais il y a fort à parier que les chevaliers choisiront la manière douce : les pourparlers. Erek est assez silencieux, mais Jöns parle pour lui, pragmatique, matérialiste, à la fois froid et passionné dans sa défense d'Erek. Mais Jöns n'est pas idiot et comprend que la justice va les rejoindre. Jöns est prêt à demander l'exil, pour lui et Erek, prêt à partir de ce royaume maudit par des imbéciles. Mais les chevaliers ne devraient pas souscrire à sa requête, pas s'ils veulent conserver le respect de Meriatan qui finira par apprendre ce qu'il s'est passé. Mieux vaut demander au Duc de juger les actes du meurtrier.
Pas de regard des protagonistes : la scène ne fut pas jouée car Erek fut rattrapé avant d'atteindre la demeure de Jöns.
Scène 8 : Le jugement, l'exil et la promesse
Objet : La scène propose un argumentaire, celui des protagonistes qui décident de soutenir ou non Erek. Position difficile, car Erek a choisi lui-même les conditions de sa déchéance. Mais ils peuvent comprendre l'enjeu politique derrière cela, et doivent saisir qu'ils ont aussi besoin de cette lettre qu'Erek pourrait choisir d'emporter avec lui. Faut-il devenir pragmatique et oublier les idéaux professés par les saints, dont l'un d'eux, Siglat, n'était pas aussi idéaliste qu'il le prétendait... ?
Meriatan est au château de l'Ordre de l'Hirondelle. Si les protagonistes n'ont pas tardé, il n'est au courant de rien. Si tu temps a passé, il a pris des dispositions pour les rechercher et connaît déjà une partie des éléments du drame. Meriatan est forcé de rendre la justice de façon solennelle. Eneïde est morte, elle était citoyenne de Salona, si bien qu'il a fallu prévenir le Prince de Washland. Meriatan peine à cacher sa colère et sa déception, tout autant que sa tristesse. Il est prêt à condamner Erek. Mais à quoi ? Il est prêt à entendre les impliqués, ainsi que les chevaliers. Ses autres chevaliers assistent au rendu de justice. La peine de mort est rarement appliquée, surtout dans le cas d'un adultère, d'un crime passionnel. Erek lui-même n'a d'idée que de partir. Et bien qu'Erek le réprouve, Meriatan peut alors condamner Jöns à suivre Erek, ce que Jöns souhaitait sans doute.
Son frère Vörhid doit être enterré. Obtiendra-t-il le droit d'y assister ? Le voudra-t-il ? L'enjeu, par-delà la souffrance d'Erek, consiste à le convaincre de laisser derrière lui le souvenir de sa mère, la lettre d'Alegrezie est une relique à la fois politique et religieuse. L'argument peut consister à lui signifier qu'au vu de sa colère, le message de sa mère sera le signe d'une vengeance. Il est possible de le convaincre de respecter la mémoire de sa mère dont l'intention était initialement de transmettre la lettre qu'elle n'a pas eu le temps d'envoyer jadis et qu'Erek avait gardée, peut-être à tort.
Reste qu'Erek s'en va, sur un cheval loskalmi, accompagné de Jöns qui, comme à son habitude, se met à chanter maladroitement une poésie grivoise, tandis qu'Erek ayant crié son dégoût pour son pays s'en va sur les traces du seul malkioni qu'il admire pour sa force et sa lucidité : Arkat. Les autres protagonistes ont, eux, un destin qui s'ouvre : porteurs d'un message maudit, chercheur d'un livre oubliés, qu'ont-ils dit à Meriatan ? Ont-ils choisi de lui révéler la vérité ? Ou gardent-ils cela pour eux ? Leurs décisions quant à la lettre d'Alegrezie sera l'objet de la deuxième chanson...
Journal de Pirul, écuyer de Messire Durcan, chevalier de l'Ordre de l'Hirondelle
Salorna, Orenday, 1ère semaine de Fervidor,, 1618.
Salorna, Orenday, 1ère semaine de Fervidor,, 1618.
[...]Au procès, le Duc Mériatan me demanda de témoigner. Je racontai ce que j'avais vu, le plus fidèlement possible. Je ne crois pas avoir failli, ni hier, ni en ce jour. L'enseignement de Messire Durcan commence à porter ses fruits.
Après le procès, le Duc nous désigna pour remplacer les deux frères pour accompagner la Comtesse. La perspective d'aventures et de découvertes m'enchante.
A mes moments d'oisiveté, je me vois déjà en train d'explorer les mondes des rêves qu'a visités Messire Voridh à côté d'Aise, de trouver, après une série d'épreuve pour éprouver ma vertu, une épée extraordinaire qui me permettra de guerroyer à la tête des armées de Loskalm contre la Mort sur son Cheval. Sainte Palenna m'envoie des visions d'une femme à la beauté cristalline, sa crinière ébène flotte majestueusement dans le vent du nord, son regard bleu comme le glacier de Varind se porte à l'horizon où a lieu la dernière bataille. Dans sa robe d'or et d'azur, je sais qu'elle me voit. Rien ne pourra m'arrêter, pas même la Mort. Je lui ramènerai la bannière de notre ennemi comme cadeau de noces... J'en suis sûr. [...]
Regard d'Héloïse :
Rien de plus que la scène précédente, si ce n'est qu'Héloïse témoigne, en toute sincérité, en faveur de la culpabilité d'Erek. Le discours de Jöns la consterne mais elle sait, au fond, que les deux hommes qui vont prendre la place d'Erek et de son écuyer seront plus à même de l'épauler noblement dans la tache difficile qui l'attend.
Regard de Durcàn :
J'approuvais entièrement la sentence prononcée par Mériatan. Elle était celle que j'attendais, et révélait encore une fois des qualités pour lesquelles il avait mon estime comme mon amitié. Je m'agaçais du dernier discours de Jöns, que je trouvais d'une arrogance consternante. Il redonna dans l'hérésie, aveuglé par l'amitié, il déversa sa rage sur nos valeurs alors même que justement nos valeurs enseignaient aux hommes comment et pourquoi ne pas faire les erreurs d'Erek. Je préférais ne pas m'attarder plus longtemps sur ce drame et laisser les deux hommes à leur destin hors de Loskalm sans plus insister. Nous avions une difficile guerre à préparer qui exigeait toute notre implication et je devais remplacer avec Pirul ceux qui nous avaient fait défaut. Héloise méritait des chevaliers exemplaires pour l'aider dans sa mission en Aise et pour assumer le destin à donner à la lettre d'Alegrezie, destin que nous partagions avec le duc désormais.
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